Ces 9 leçons de vie que vos parents auraient dû vous transmettre
Bruno Clavier est psychanalyste et psychologue clinicien, il vient de publier Devenir un bon ancêtre, transgénérationnel et grands-parents (Payot, 2024). Sophie Galabru est philosophe, elle est l”autrice notamment de Faire famille, une philosophie des liens (Allary éditions, 2023). Agathe Christine Ulivucci est psychanalyste transgénérationnelle, elle est l’autrice notamment de Ces photos qui nous parlent, une relecture de la mémoire familiale (Payot, 2014).
Tous trois nous livrent les 9 voies que les parents doivent emprunter pour laisser un bel héritage à leurs enfants.
1. Régler ses dettes
Comme pour tout héritage, si on ne veut ne pas alourdir sa descendance et ne lui transmettre que le meilleur, encore faut-il avoir au préalable apuré tous les comptes, ne pas laisser traîner dans des fonds de tiroirs de vieilles blessures et autres souvenirs encombrants.
« Il faut s’occuper de son passé si l’on veut être un bon ancêtre, exhorte le psychanalyste et psychologue Bruno Clavier. Même sans parler de trauma majeur, les mauvaises expériences qui ont fait mal, si elles ne sont pas digérées, nous rattrapent forcément un jour. Si l’on ne traite pas le dossier, l’un de nos descendants s’en chargera inconsciemment à notre place. Quoi que l’on ait vécu, un jour ou l’autre, il est bon de faire un état des lieux. Que l’on ait des enfants ou pas, car l’on fait toujours partie d’une famille : les tantes, les oncles, les grands-tantes, les grands-oncles ont une importance que l’on ne soupçonne pas. Qui sommes-nous ? Qu’est-ce qui nous rend malheureux ? De quel poids sommes-nous chargés que l’on risque de transmettre à notre insu ? Le premier pas est de prendre conscience de ce qui a pu être négatif dans notre vie, de revenir dessus et de tenter de corriger le tir. L’idée est de solder un maximum de dettes soi-même, et d’accumuler un maximum de “positif” à passer aux suivants. »
2. Traquer le non-dit
« On le sait désormais : ce qui n’a pas été “parlé” se transmet d’une manière ou d’une autre et a des répercussions sur la vie de la génération suivante, rappelle la psychanalyste transgénérationnelle Agathe Christine Ulivucci. On croit protéger nos enfants de nos propres traumas par le silence. Mais tout ce qui n’est pas dit suinte de manière non verbale : dans notre manière d’être, nos évitements, nos phobies… Et cela se répète et ressort sous forme de symptômes chez l’un ou l’autre de ces descendants, jusqu’à ce que des mots aient pu être posés. L’essentiel, c’est la parole. »
Si l’on veut protéger ceux qui nous succèdent de ce que l’on a pu subir soi-même, ou des épisodes sombres de l’histoire familiale, il importe donc de dire. Mais pas n’importe quand, pas n’importe comment. « L’idée n’est pas de se réparer ou se soigner avec son enfant, précise Agathe Christine Ulivucci. Il est nécessaire d’avoir au préalable travaillé ce qui nous pèse, d’avoir élaboré ce que l’on a à dire. Pour que cela ne tombe pas comme un poids sur la génération suivante. » Rompre le silence des familles, donc, comme nous y invite également Bruno Clavier. Non pas pour s’alléger soi, mais pour restituer à nos descendants ce qui, de notre vécu et de l’histoire familiale, leur appartient. « Le poids, ce sont les fantômes familiaux qui parasitent le vivant, poursuit la psychanalyste. Parler de certains épisodes constitue, pour ceux de la génération suivante, une porte de compréhension de leur propre vie. L’important est de ne pas éluder les questions. Si l’enfant aborde un sujet, c’est qu’il a besoin de comprendre quelque chose. Il importe de lui répondre, en choisissant ses mots en fonction de son âge, et en précisant le récit au fur et à mesure qu’il grandit. »
3. Remettre à nos héritiers ce qui leur appartient
Lorsqu’on se met à parler, la difficulté consiste à trouver la juste frontière entre ce que nos enfants ont besoin d’entendre et ce qui ne les regarde pas. « Il ne s’agit pas de tout dire, en croyant ainsi être le meilleur parent possible, prévient Agathe Christine Ulivucci. L’enfant n’a pas besoin, par exemple, qu’on lui “avoue” une relation extraconjugale. Cela reviendrait à le mêler à la sexualité des parents, et relève de l’incestuel. En revanche, tout ce qui concerne sa venue au monde et touche à sa filiation, son histoire, sa place dans la famille le concerne directement. Les enfants “illégitimes”, par exemple, ont besoin de connaître leur ascendance.
Pour la génération actuelle, il importe qu’il n’y ait ni secret ni non-dit sur la filiation des enfants nés par FIV, PMA… Chaque époque a ses sujets délicats. Mais il est essentiel, pour permettre à un individu de se construire, de lui dire d’où il vient. Il est important aussi de parler d’autres enfants “cachés” (illégitimes, décédés… ) quand il y en a, d’éventuelles fausses couches. Il en va de sa place dans la famille. »
4. Incarner nos valeurs
« Nous transmettons à ceux que nous aimons et que nous élevons, un capital “cryptographique”, affirme la philosophe Sophie Galabru : une certaine vision du monde, du bonheur, des désirs, des émotions… On a beau parler à nos enfants, leur recommander des valeurs, faire part de lignes morales, si on ne les incarne pas, cela ne sert à rien.
N’oublions pas que pour eux, nous sommes des modèles. Ils repèrent vite nos incohérences et nos dissonances. Il est inutile de leur dire “Sois courageux”, “Souris à la vie”, si l’on est soi-même dévitalisé et que l’on manque de courage. Cela décuple l’exigence envers soi-même d’élever des enfants. Le désir d’être le meilleur “ancêtre” possible demande de régulièrement se remettre en question, de réévaluer notre cohérence. Le discours libère, mais ce qui instruit et guide, c’est l’attitude, l’incarnation. »
5. Remonter ensemble aux origines
Se plonger ensemble dans l’arbre généalogique, commenter les albums de famille, leur parler de notre enfance… Tout ce qui permet de raconter l’histoire familiale est précieux pour (re)placer les enfants dans leur lignée.
« Cela fait partie de la transmission orale d’événements familiaux, explique Agathe Christine Ulivucci. De quel milieu social étaient les grands-parents ? Comment leurs parents se sont-ils rencontrés ? Qui a choisi leur prénom ?… Quand ces bases n’ont pas été transmises, elles sont souvent questionnées plus tard, notamment en analyse. Il est important de pouvoir donner à nos descendants les clés du socle sur lequel ils sont arrivés. »
6. Sortir de l’idéal de la famille parfaite
« Que fait-on dans l’histoire familiale d’un grand-père collabo ? Ou d’un oncle qui a fait de la prison ? interroge Bruno Clavier. Il faut sortir de l’idée de la famille parfaite, aussi fausse que celle de l’individu parfait. C’est très suspect, une famille parfaite ! On a tendance à vouloir cacher le mouton noir, par honte ou par peur – infondée – de faire exploser la famille en ressortant les vieux dossiers. Mais plus on le cache, plus il réapparaît, sous d’autres formes, dans les générations suivantes.
Le mieux est d’arrêter d’entretenir la honte et d’en parler tranquillement, en exprimant clairement notre désaccord sur certains comportements, et en cherchant quelques aspects positifs du personnage. Rares sont les individus exclusivement mauvais. Celui-ci a dérapé mais la famille se rééquilibre grâce aux autres membres qui ont fait des choses formidables. »
7. Écouter l’écho que nos enfants renvoient de nous
Peurs, vieilles croyances limitantes, anxiété… Ces comportements qui nous échappent sont lourds à porter pour celles et ceux qui viennent après nous. « Même quand on a fait le travail thérapeutique, souligne Sophie Galabru, il arrive que l’on se retrouve à répéter des attitudes problématiques que l’on a soi-même subies, voire critiquées chez nos “tuteurs”. En particulier dans des moments cruciaux où l’on cristallise l’attitude de nos parents, soit par fidélité, par nostalgie, par amour, ou parce qu’on ne sait pas faire autrement. Mais il n’est jamais trop tard pour en écouter l’écho que nous renvoient les autres.
Nos enfants notamment, dans leurs protestations, leurs remises en question, leurs propres comportements, voire leurs symptômes, nous renvoient un reflet de nous propice à la réflexion. Et à la réaction, si l’on veut couper la chaîne de la répétition. »
8. Pratiquer le retournement
« Quel que soit le capital, surtout quand il est négatif, on peut être la génération qui va le transformer, le transmuter, en faire quelque chose de positif, affirme Bruno Clavier. N’importe quelle situation négative porte en elle les germes de son retournement.
Par exemple, mon travail personnel a été d’utiliser les vertus de mon grand-père, malgré tout le mal qu’il a pu me faire, pour remettre les choses dans un ordre positif. Quand une génération change la donne, elle la change pour les générations d’après. »
9. Être (le plus) heureux (possible)
Il n’y a pas que le mal-être ou les traumas qui se transmettent en héritage. La joie de vivre aussi peut faire partie du « package ». Mais là encore, il ne suffit pas d’en parler. « Si vous voulez que vos enfants et vos petits-enfants soient heureux, soyez heureux, résume Bruno Clavier. Et généreux ! Ce que l’on transmet, c’est notre capacité au bonheur de la vie tel qu’on l’entend. Le goût du sport, l’amour du jardinage ou la passion de l’écriture… Tout ce qui nous anime, les autres vont automatiquement en profiter.
En tant que grands-parents, par exemple, il est très bon d’être extrêmement investis et de donner de son temps à ses petits-enfants, mais avant tout, donnez-leur l’exemple : ne restez pas dans le rôle de baby-sitter, montrez-leur qui vous êtes, montrez-leur le bonheur – même âgé – de vivre des choses pour vous-même, votre amour de la vie. Votre désir d’être vivant jusqu’au bout ! »
Recomposer le récit familial
Dans son nouveau roman Une double faute (Le Cherche Midi), Pascale Tournier raconte l’histoire de François, haut fonctionnaire sous Vichy, qui, par passion adultère pour une comédienne juive, va grimper tous les échelons, et sacrifier femme et enfant. Une double faute, qui ressemble à s’y méprendre à celle de cet obscur grand-père dont l’écrivaine-journaliste portait depuis l’enfance le poids flou et insidieux, et qu’elle sort enfin de l’oubli à la suite d’une enquête aussi historique qu’intime. « Je ne suis pas responsable de ce que mon grand-père a fait, mais j’avais la responsabilité de raconter, de transmettre le récit familial. J’ai appliqué des méthodes d’enquête journalistique, mais d’en faire une fiction m’a permis de recomposer l’histoire, de combler par l’imagination les trous de l’oubli dans lequel mon grand-père a été plongé, de me réapproprier le personnage, de l’humaniser, même avec sa lâcheté, de le ramener du côté de la vie. De faire que cet héritage lourd ne soit pas un poids mort. Nous ne sommes pas responsables de ce qu’ont fait nos ancêtres, mais il faut pouvoir regarder les choses en face.
Assumer qu’on est fils, fille, petite-fille, petit-neveu, d’un haut fonctionnaire sous Vichy. Ne pas mettre un voile, rompre la chaîne de la honte. Et sortir de la répétition, autant que faire se peut. Quand on essaie de démonter, déconstruire, comprendre, on peut peut-être dépasser, et stopper certains dysfonctionnements pour les suivants. Surtout on s’ancre, on cesse de flotter. En “m’autorisant” (être autrice) à écrire ce livre, finalement j’ose mettre de la netteté, aussi bien dans les albums familiaux que dans les livres d’histoire. Et je remets en ordre l’arbre généalogique. J’ai fait le boulot, dépoussiéré, décrassé, recherché dans les archives, les témoignages de l’époque… Le livre existe, il est à disposition. La génération suivante en fera ce qu’elle voudra. Pour le moment, elle est tournée vers l’avenir. »